L'annulation du projet P1560 pose un problème de renouvellement de la gamme 140. La 144 a déjà quatre années de production et la durée de vie d'un modèle est d'environ sept à huit années, ce qui fait que le temps presse. Par ailleurs, il faut tirer profit de l'expérience VESC et de l'image très positive pour Volvo qui en a découlé. Sans attendre la 240, Volvo équipe les 140 des millésimes 72, 73 et 74 d'améliorations sécuritaires qui viennent de VESC et annoncent la 240. On peut même voir dans les modifications de la 140 millésime 74 des éléments industriels de la 240 à venir, comme le réservoir de carburant avancé ou les fenêtres avant d'une seule pièce.
Revenons en 1971. Le projet 1720, poursuite des travaux de 1560 (le projet industriel) et de VESC (le projet de recherche et développement), doit répondre au besoin de renouveler la 140. Le cadre général de P1720 est piloté par Pehr Gyllenhammar, fraîchement nommé CEO. Gyllenhammar annonce notamment une nouvelle usine à Kalmar, où devra être produite la 240. Cette décision priorise les investissements et conduit à maîtriser le coût du renouvellement de la 140. Or, le projet 1720 embarque le concept de deux empattements distincts dans la même famille de véhicules et de nouveaux outillages pour emboutir les caisses de 1560/1720. Il est donc décidé de ne pas repartir d'une page blanche pour la carrosserie de la 240, donc d'abandonner les lignes du projet P1720 et par voie de conséquence les prototypes.
En parallèle, la gamme 140 doit être rafraichie. C'est le projet 1417 qui est en charge de ce renouvellement. L'idée qui germera dans l'esprit des dirigeants de Volvo, dans un contexte d'investissements maitrisés, c'est de fondre en un seul projet la conception des futurs millésimes de la 140 et la création de la 240. L'idée est excellente car elle permet de juxtaposer le meilleur de VESC (la sécurité et l'image maintenant connue de tous) et une carrosserie très bien vendue, donc des outillages rentabilisée. Le fait de produire un véhicule semblable, notamment au niveau des cotes de plancher, permet de ne pas ré-investir massivement dans l'usine de Torslanda et de Ghent, qui produisent déjà les 140.
Plus en détails, la solution technique consiste à reprendre les lignes de la 140 sauf en ce qui concerne la partie avant qui doit recevoir le V6 PRV dont la conception a été lancée à la fin des années 60 (Volvo s'occupera de la partie échappement et émissions polluantes du projet). Pour rentrer sous le capot le V6 PRV dont le design est particulièrement encombrant en largeur du fait de son ouverture à 90 degrés, ce qui le rend substantiellement plus large qu'un moteur en ligne, le train avant de la 140 ne convient pas : ses triangles superposés sont trop intrusifs au-dessus de la traverse avant et ne permettent pas de loger les échappements. Il faut alors reconcevoir la suspension et c'est la solution Mc Pherson qui sera retenue. C'est pour la même raison que le boitier de direction des 140 est remplacé par une crémaillère, qui s'installe sous la traverse avant et dégage largement la baie moteur. La 240 sera donc, en substance, une 140 avec une cellule avant reconçue pour recevoir une suspension Mc Pherson et une direction à crémaillère. Ces deux décisions techniques apporteront également d'importants bénéfices pour la tenue de route et le confort de conduite.
Et puisque la face avant doit de toutes manières être reprise pour des raisons techniques, autant dessiner une identité visuelle à l'avant qui rappelle le VESC, et c'est ce que s'appliquera à faire Jan Wilsgaard en personne, travaillant personnellement directement sur les maquettes de clay pour greffer l'avant incliné du VESC et ses clignotants, dans une version plus adoucie.
Deuxième point qui montre que la 240 doit être un projet à coût maitrisé par rapport à la série 140/160 : la montée en gamme via la série 260 sera réalisée strictement avec la même caisse et ceci n'est possible que grâce au projet PRV lancé au début des années 70 par Renault, Peugeot et Volvo (sous la houlette de Rolf Mellde, un transfuge de Saab, coté Volvo). Le moteur V6 permet de motoriser le haut de la gamme sans recourir à un moteur trop long et difficile à loger dans la baie moteur. On peut d'ailleurs penser que le moteur Diesel qui sera installé en 1978 ne faisait pas partie du cahier des charges initial du projet P1720, mais que cette contrainte d'architecture fera pencher la balance du côté du choix du moteur 6 cylindres en ligne diesel VW à alésage de 76,5 mm qui permet de réduire notablement la longueur totale du moteur, ce qui n'aurait pas été réalisable avec un moteur conçu par Volvo qui s'orient généralement vers des alésages plus importants (comme le B30 de la 164 dont l'alésage est de 88,9 mm).
Enfin, pour que la distinction entre 240 et 260 soit non seulement réalisée par le moteur mais aussi par le visuel, une identité avant particulière est élaborée : phares, capot et calandre devront imprimer une identité plus statutaire. Ce sera une des tâches de Gunnar Falck, qui mettra au point le bombé du capot des 260 à partir de pièces de carton directement fixées sur des capots de 240, afin de donner l'impression d'une voiture plus grande vu du poste de conduite.
D'autres modifications mineures de tôlerie aux planchers sont requises, possiblement pour abaisser le niveau sonore du véhicule. En revanche, la partie arrière est conservée (face arrière, porte de malle, cuvelages derrière les roues). Les portes latérales sont modifiées pour recevoir des encadrements soudés en tôle (précédemment en aluminium extrudé et anodisé pour la 140), ce qui participe à la rigidité en cas de crash latéral et améliore les bruits aérodynamiques.
Il y a très peu de photos des prototypes de la 240 illustrant la phase suivant la décision de reprendre la carrosserie de la 140. On en trouve une dans l'excellent livre de Fredrik Nyblad sur la série 200.
Lors de l'hiver 73, la dernière vague de prototypes, probablement issus des outillages définitifs, réalisera des tests pour valider le moteur 4 cylindres et le V6.
Comparatif par rapport à la série 140 que la série 240 va remplacer :
Carrosserie
Ce qui est conservé :
- l'encombrement du véhicule du point de vue industriel
- pavillon (berline et break)
- partie arrière (berline et break)
- baie de pare-brise et baie de lunette arrière
- une partie des planchers
- tablier
Ce qui est modifié :
- partie avant (capot, face avant, traverse, contre-ailes, ailes)
- planchers avant pour accueillir les nouveaux sièges et améliorer la résistance aux chocs latéraux
- portes latérales
Motorisations :
Ce qui est conservé :
- le moteur B20
- la boite de vitesses M40/M41
- l'arbre de transmission et le pont arrière
Ce qui est modifié :
- le nouveau moteur B21
- la nouvelle boite de vitesses M45/M46
- le moteur PRV
Trains roulants :
ce qui est modifié :
- train avant nouveau
- train arrière légèrement modifié
Aménagement intérieur :
Ce qui est modifié :
- sièges avant
- planche de bord
- système de chauffage
- frein à main central
- ciel de toit rigide (berline)
Ce qui est conservé :
- banquette arrière
- bloc compteur (tachymètre, compte-tours, indicateurs)